8 mars 2004 Conférence « Corruption et Lutte contre la Pauvreté » Maison des Jeunes et de la Culture, Ouagadougou, Burkina Faso
Claude Wetia et Pierre Dabiré entourant la "maîtresse de cérémonie"
Lassociation
Kebayina
des femmes du Burkina organisait le 8 mars, journée internationale des femmes, une conférence intitulée « Corruption et Lutte contre la Pauvreté ». Deux intervenants avaient été conviés : M. Claude Wetia, professeur déconomie à lUniversité de Ouagadougou et M. Pierre Dabira, membre du
Réseau National de Lutte Anti-Coruption (REN-LAC)
et journaliste de formation.
M. Claude Wetia a commencé son exposé en définissant les termes de pauvreté et de corruption. Il a souligné le fait que la pauvreté augmentait au Burkina et que les pauvres étaient de plus en plus pauvres : si lon définit comme pauvre toute personne vivant avec mois dun dollar par jour, alors, en 2003, le pays comptait 46,4% de pauvres, contre « seulement » 44% en 1994. Lintervenant a ensuite tenu à rappeler que corruption et pauvreté étaient fortement liées. En effet, la corruption empêche une mobilisation efficace des ressources internes et fait fuir les capitaux étrangers. Or, pour se développer et donc lutter contre la pauvreté, le Burkina a besoin dInvestissements Directs Etrangers.
Daprès lintervenant,
la situation des femmes
du Burkina est dautant plus préoccupante que le pays senfonce dans la pauvreté et que les femmes constituent une population plus sujette à la pauvreté. Pour appuyer ses dires, il cite des chiffres qui nous ont paru peu concluants : 51, 7% des femmes vivent en situation dextrême pauvreté, contre 48,3% des hommes, et la probabilité dêtre extrêmement pauvre de 20% pour une femme et de 19% pour un homme. La pauvreté a donc, selon lui, un visage spécifiquement féminin : laccès à la terre, à lemploi, au crédit et aux biens et services est particulièrement difficile pour les femmes.
Léducation est un facteur essentiel pour lutter contre la corruption, mais le Burkina Faso ny consacre que 2,8 % de son PIB annuel, contre une moyenne de 4 % dans les pays voisins. Ces dépenses publiques défavorisent les femmes car 60 % sont consacrées aux garçons alors quils ne représentent que 49 % de la population.
Le professeur Wetia a également insisté sur les trois conditions favorisant la corruption et montré quelles étaient effectivement réunies au Burkina Faso. Il sagit de :
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lexistence de monopoles étatiques
: lEtat burkinabé bénéficie de monopoles dans certains secteurs comme celui des « cuirs et peaux » ;
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un pouvoir discrétionnaire
: daprès M. Weita, « ce ne sont pas les institutions officielles qui gouvernent, mais des institutions occultes ». « Quel est le rôle du régiment de sécurité présidentiel ? Qui est le véritable numéro deux du régime ? » , sinterroge-t-il ;
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labsence de responsabilité
: les hommes au pouvoir ne respectent pas leurs engagements et considèrent le pouvoir comme un moyen daccumuler des biens.
Les femmes de l'assistance
Le deuxième intervenant, le journaliste Pierre Dabire, membre du REN-LAC (Réseau National de Lutte Anti-Corruption) a choisi de parler de
la femme, non pas seulement comme victime de la corruption mais aussi comme corruptrice
. Tout comme « il y a une femme derrière chaque grand homme, ny a-t-il pas une femme derrière chaque grand corrupteur ? », demanda-t-il, faisant naître lhilarité dans la salle.
Derrière cette provocation, le journaliste a insisté sur le rôle dinspiratrice, voire même de corruptrice de la femme. Les femmes sont impliquées dans les activités de corruption à plusieurs niveaux. Certaines dentre elles sont de grandes corruptrices, dautres sont corrompues à plus petite échelle (marchés de limmobilier, des cuirs et des peaux
). M. Pierre Dabire déplore également la pratique de « notes sexuellement transmissibles »
et les promotions-canapés.
La femme peut aussi avoir une attitude passive face à la corruption des membres de sa famille. Ainsi, « quand vous voyez votre mari rentrer à la maison avec une voiture de plusieurs millions que ne lui permettrait pas son salaire, si vous ne dîtes rien, vous acceptez la corruption de votre mari », déclare-t-il, interpellant les femmes présentes.
M. Dabire a ensuite énuméré les causes et conséquences de la corruption, avant de sappesantir sur le rôle de la femme dans la lutte contre ces pratiques. Pour lui, la corruption est principalement due aux bas salaires, à la pauvreté, à la perte des valeurs morales (plus de respect pour le travail, plus dengagement politique), à lignorance et à lanalphabétisme transformant les citoyens en bétail électoral facile à acheter, aux dysfonctionnements administratifs, à limpunité et à des effets dincitation (comparaison avec les voisins, les cousins, les collègues
). Cela a pour conséquence lappauvrissement du pays et des femmes en particulier et une dégradation de léducation et des services de santé.
Le journaliste, membre du REN-LAC, a enfin insisté sur
le rôle de la femme dans la lutte contre la corruption
, quelle peut mener à trois niveaux : en tant que mère et épouse, en tant que professionnelle et en tant que membre dune association ou dune organisation. La femme a un rôle particulièrement important au sein de son foyer via léducation des enfants et l'influence qu'elle exerce sur son mari. Dans la vie professionnelle, « chacun peut mener le combat à son niveau, en faisant son travail correctement », déclare-t-il. Enfin, chaque femme peut veiller au fonctionnement intègre de lorganisation dont elle est membre.
Cependant, « ce nest pas la lutte contre la corruption qui est une fin en soi, mais cest la réduction de la pauvreté », a-t-il conclu.
Nous avons quitté la salle lorsque la traduction en mooré a commencé. Une fois de plus la corruption a été dénoncée, mais les façons concrètes de lutter contre ces pratiques, si ce n'est par une réduction de la pauvreté, n'ont pas été réellement abordées. Quant au rôle de la femme dans la corruption, il na pas encore donné lieu à un réel travail analytique.
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