Portrait
de Mme Safiatou Doumbia Coulibaly,
présidente de l'AMSAFE,
Association Malienne de Suivi
et d’Appui à la Femme et à l’Enfant
Bamako – MALI Août 2006
La
directrice de l'AMSAFE, Mme Safiatou Doumbia Coulibaly
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Un parcours tumultueux
Mme Safiatou Doumbia Coulibaly, comme tous ses frères et soeurs, a eu la chance d'aller à l'école.
Mais, contrairement à eux, elle n'a pas choisi un cycle professionnel : elle voulait être une "grande dame", et pour cela
il fallait aller au lycée. Sous la pression de ses parents, elle a accepté de se marier alors qu'elle était en dixième, à condition
de pouvoir poursuivre ses études.
Cependant, cela s'est avéré plus difficile que nous ne pourrions le penser. En plus des études, Mme
Safiatou Doumbia Coulibaly a dû assumer l'ensemble des tâches ménagères du foyer et l'éducation de ses enfants. Malgré
cela, elle a réussi à intégrer l'ENI (Ecole Nationale des Ingénieurs), mais a dû se réorienter à cause de problèmes de santé liés au début de sa deuxième
grossesse. Elle s'est alors tournée vers l'Institut de Gestion, où elle a étudié
pendant deux ans. Là encore, elle a dû
faire face à de nombreuses difficultés. Pour payer ses études, elle avait besoin d'une source de revenu. Elle faisait
donc du petit commerce le week-end. Elle avait en outre deux enfants à cette époque, et devait de ce fait se lever très
tôt pour pouvoir préparer le petit déjeuner et le repas de midi avant de partir à l'école. Pour parvenir à mener toutes ces
activités de front, elle ne dormait que quatre heures par nuit en moyenne, et a même été obligée de demander à ses professeurs
qu'ils lui accordent un quart d'heure de retard chaque matin, pour qu'elle puisse venir depuis Bankoni (quartier excentré
de Bamako).
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Si, dans l'ensemble, les professeurs se sont montrés coopératifs, Mme Safiatou Doumbia Coulibaly a néanmoins
rencontré quelques difficultés avec l'un d'entre eux. Pour raison de santé, elle avait dû s'absenter pendant
l'année. Son professeur de comptabilité lui a mis un zéro en note de classe, ce qui l'a empêchée d'avoir son DUT. Avec une
moyenne de 9,97, elle était pourtant très proche du but. Elle reconnait avoir été un peu arrogante avec lui,
mais ne voulait pas "s'accroupir devant cet homme". Ayant fourni le travail intellectuel nécessaire, elle considérait qu'elle
pouvait "être quelqu'un même sans ce diplôme". Si l'absence de diplôme a pu être un obstacle à sa carrière de comptable
(elle s'est vu refuser un poste de comptable uniquement à cause de cette absence de diplôme), elle ne l'a pas
empêchée de devenir "la première dame de 2006", comme l'ont dit ses anciennes camarades de classe.
Par la suite, elle a voulu à plusieurs reprises reprendre ses études,
mais n'a pu le faire par manque
de financements jusqu'en 2003, où elle a enfin obtenu, après 10 années de lutte, une bourse de la Belgique. Aujourd'hui,
après avoir obtenu son DUT en marketing-management, et sa licence en gestion des ressources humaines, elle prépare
sa maîtrise et espère bien pouvoir continuer jusqu'au DEA, même s'il lui faudra pour cela trouver de nouvelles sources
de financements.
Une femme très engagée
Déjà, lorsqu'elle était à l'Institut de Gestion, Mme Safiatou Doumbia Coulibaly pensait que les
femmes devaient s'entraider. Celles-ci étant moins nombreuses dans l'école, seulement 7 sur 40, il était important qu'elles
soient unies et qu'elles ne se perdent pas de vue après leurs études. Elle a donc été l'initiatrice d'un système
de tontines, qui fonctionne toujours aujourd'hui, bien qu'elle-même ait été obligée
de se retirer. En effet, elle a dû
faire face à des difficultés financières. Les cotisations étaient devenues trop élevées pour elle, et elle a refusé que les
autres payent à sa place. Elle considère ainsi que pour qu'il puisse vraiment y avoir une entraide, il faut que le groupe soit
suffisamment homogène. S'il existe trop d'écarts entre les modes de vie, certains vont s'effacer devant d'autres. Or chacun
doit conserver sa dignité. Ce qu'il faut, c'est "aller doucement ensemble".
A son arrivée à Bankoni, Mme Safiatou Doumbia Coulibaly a d'abord observé les femmes
et leur mode de vie dans ce quartier populaire de Bamako. A l'époque, il n'y avait qu'un petit groupement,
initié par une sage femme et une infirmière. Elle s'est demandée alors pourquoi ne pas élargir ce cercle afin de créer
un cadre d'entraide entre les femmes. Elles ont été 80 à se regrouper pour mettre en place un système de tontine ;
chacune cotisait 250F CFA par semaine. Elles ont pu ainsi développer des activités génératrices de revenus pour les habitantes
du quartier, et acheter des costumes (des boubous pour aller danser), ce qui permettait à certaines d'avoir au moins une tenue complète chaque année.
Mme Safiatou Doumbia Coulibaly n'a pas voulu en rester là. Elle a décidé de créer une association,
dont elle est devenue la présidente : l'
AMSAFE, l'Association Malienne de Suivi et d'Appui à la Femme
et à l'Enfant. Après avoir rédigé les statuts de l'association et les avoir soumis aux femmes, le premier problème
qu'elle a tenté de résoudre a été celui de la garde des enfants. Ayant entendu parlé des centres d'écoute communautaire,
elle a pensé que ce pouvait être un cadre approprié. Elle a alors cherché un local. Certaines femmes se sont engagées à
participer aux frais (15 000F CFA par mois). Mais quand elles ont appris qu'il faudrait payer trois mois d'avance,
elles se sont retirées, laissant Mme Safiatou Doumbia Coulibaly assumer seule le paiement du loyer. Puisqu'elle
s'était engagée, elle considérait que son honneur était en jeu.
Le montant du loyer étant l'équivalent d'un mois de paie,
elle a dû emprunter de l'argent à sa soeur. Bien qu'elle ait supporté tous les frais seule, elle considère que le centre
appartient à toutes les femmes. L'aspect communautaire est un point essentiel à ses yeux.
Depuis qu'elle a créé l'AMSAFE, la présidente ne s'est jamais découragée. Elle a
sans cesse cherché à mettre en place de nouveaux projets pour améliorer les conditions de vie des habitants du quartier.
Même si elle ne bénéficie d'aucun financement, elle sait mobiliser les femmes et les jeunes filles, et les
inciter à prendre part au développement de leur quartier.
Une actrice du développement, pas une politicienne
Si politique et développement sont liés, Mme Safiatou Doumbia Coulibaly insiste sur le fait que
ce sont deux choses bien distinctes. Plusieurs "politiciens" ont essayé de la pousser à entrer en politique, mais pour
le moment, la présidente préfère se consacrer au développement par d'autres biais. Les politiciens auraient en effet
intérêt à ce qu'elle s'investisse dans ce domaine parce que les femmes l'écoutent, et que ces dernières constituent
un électorat très convoité.
Mme Safiatou Doumbia Coulibaly constate que les gens ne vont pas voter car ils sont déçus
par l'attitude des partis politiques et leur manque d'action. Tous ont des programmes proches. D'après elle,
il n'y a donc pas de véritable multipartisme. Ce qu'elle voudrait, c'est que les politiciens leur "donnent des actions
concrètes".
La présidente de l'AMSAFE essaye donc d'informer les femmes, en menant des campagnes de
sensibilisation, pour que les gens parviennent enfin à faire la différence entre développement et politique.
Dès que quelqu'un cherche à mobiliser les gens, cela passe pour de la politique. Mme Safiatou Doumbia Coulibaly
se défend alors : elle ne fait pas de politique. La seule chose qu'elle a à donner, comme elle le déclare elle-même,
c'est de l'information.
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